Minimalisme, appui medio-pied, technique de course... Faisons le point!
Il y a quelques années, la "vague du minimalisme" déferlait sur le marché du running. Elle avait surtout touché les États-Unis et le monde anglo-saxon, mais son écho puissant avait résonné jusqu'à chez nous.
Une dénonciation des chaussures de running classiques.
La thèse du minimalisme peut se résumer ainsi : "On vous a menti depuis longtemps. Les chaussures à "amorti" sont la cause principale des blessures des coureurs amateurs. Tout dans les Running classique est mauvais, jusqu'à la forme de la chaussure et son talon arrière surélevé qui oblige le coureur à frapper le sol par le talon. Or, cette technique est dangereuse car elle occasionne une onde de choc très importante et ruine les articulations et le dos.". Voilà, lapidaire, les accusations portées sur l'ensemble de l'industrie du running par le "minimalisme".
L'origine du mouvement.
“Back to nature” ce fameux slogan de nos sociétés hyper-modernes et consommatrices semble avoir trouvé un écho particulier au sein des adeptes du sport le plus “naturel” qui soit: la course à pied. Pourtant, avec le minimalisme, ce sont encore une fois les plus urbains qui s’y mettent les premiers...
Curieusement, même si le débat sur "l'amorti" et la protection des impacts revenait périodiquement dans le milieu de la course à pied, la "tendance" minimaliste n’est apparu qu’il y a quelques années. Auparavant, on retrouvait certes ces problématiques dans certains livres consacrés à la course, mais les chaussures amortissantes avaient la faveur des magazines et du marketing. Apparues dans les années 80, on ne peut leur nier une part du succès dans le “boum du running” observé depuis... Mais voilà, depuis quelques temps, un vrai débat, physiologique, marketing et aussi parfois un peu idéologique s’est propagé.
Il a été "popularisé" par le best seller "Born to run", où l'auteur, un journaliste américain féru de course à pied, décrit la course naturelle des indiens Tahahumaras, une tribu mexicaine qui a la particularité d'organiser des courses de très longues distances simplement chaussés de sandales traditionnelles appelées "Huarache" et fabriquées aujourd'hui à l'aide de vieux pneus.
Ce livre, qui décrit les prouesses de ces athlètes (en fait, si ils sont de bons coureurs, les Taharumaras ne se sont pas montrés hyper-compétitifs dans les nombreuses compétitions internationales où ils ont concourus depuis près d'un siècle: on en retrouve ainsi deux dans le peloton du marathon olympiques de 1912 et quelques autres de ces coureurs ont terminé dans les vingt premiers des western states endurance race, une épreuve de trail de référence aux USA) et la découverte par l'auteur et un personnage emblématique local (un américain émigré dans la région surnommé Caballo Blanco et organisateur d'une course dans ces lieux, décédé depuis) des bienfaits de la course les pieds les moins "équipés" possibles.
En effet, Chris Mc Dougall, souvent blessé dans ses runnings gonflées à l'air, retrouve une attaque du pied plus dynamique, renforce sa musculature et guérit ainsi de ses maux chroniques.Il raconte tout ça avec talent et le livre connaît un immense succès.
Presque dans le même temps, la marque Vibram lance des "chaussures à doigts", d'abords destinées à la récupération ou à quelques séances de courses à pied destinées à renforcer les muscles du pied. Le buzz créé par le livre et par quelques autres partisans, physiologistes et entraîneurs pour un retour à une "course naturelle" développe vite une nouvelle frange de marché.
Une récupération mercantile rapide ?
Curieusement, cette fronde envers les produits "traditionnels" de la chaussure de course à pied fut vite soutenue par des marques, pas forcément d'ailleurs absentes du marché précédemment. Merrell, Vibram, pour ne citer que les principales qui ont cru dans le développement de cette part de marché construite sur une "niche alternative", ont vite proposés des produits adaptés. Semelles très fines et parfaitement plates, construction de l’empeigne au plus près du pied, avec parfois même des orteils séparés tels des gants de pieds, tels étaient les nouveaux principes.
Car il faut bien comprendre que la dénonciation primitive du marché et des produits allait vite en faire apparaître d'autres. Ainsi, l'auteur du Best seller cité plus haut allait vite associer son nom et son livre à une première marque spécialisée dans la chaussure minimaliste, Vivo Barefoot, avant de signer un contrat plus intéressant chez Vibram. Vibram, qui lorsqu'etait sorti la première VVF ne pensait pas à un succès aussi important ni à un usage réellement tourné vers la course à pied. La marque a dû s’adapter à un succès et une pratique qui n’étaient pas prévus!
Le succès fut important, notamment aux États-Unis. On découvrait de nouvelles sensations de course grâce à ses chaussures extrêmement proches du sol et du pied. L'idée aussi de courir "plus proche de la nature", comme pieds nus, était aussi très séduisante, notamment auprès d'une population urbaine si éloignée d'elle au quotidien.
Une publicité axée santé.
Simple nouvelle stratégie marketing ou véritable mouvement de fond, la tendance minimaliste était lancée et trouvait un large écho. Aux Etats-Unis, les sites Internet qui analysent la bonne façon de poser le pied au sol et décortiquent les critères qui font de vous un “heel-stricker” ou un “fore foot runner” selon que vous attaquiez par le talon ou sur l’avant du pied (ce qui est la méthode préconisé par les “coureurs minimalistes”) fleurissent, ainsi que les méthodes (Chi-running, pose method...) pour vous apprendre à bien vous positionner en courant, en usant, presque toujours des chaussures plates et légères.
Courir, le sport le plus naturel du monde (avec sa cousine la marche!) devient un geste technique des plus complexes, même à faible allure…
Les marques engagées dans le mouvement communiquent alors sur l’aspect protection contre les blessures et nouvelles façon de courir au plus proche du mouvement naturel : bien souvent, un livret ou des conseils sur le site Internet sont délivrés pour recommander une phase de transition : vous devez vous habituer progressivement à courir avec ces nouvelles chaussures. Vous devez adopter une nouvelle technique : genoux semi-fléchis, petite foulée fréquente, attaque par l’avant-pied.
Le port de ces chaussures minimalistes vous garantirait une meilleure protection contre les blessures. C’était la promesse principale mise en avant, bien plus que les sensations que cette nouvelle forme de course peut apporter ou l’efficacité en terme de vitesse.
Le coup d’arrêt de la condamnation
Mais les premières constatations des médecins, des podologues ne sont pas aussi encourageantes : les consultations pour certaines pathologies (fractures de fatigue des métatarses, tendinopathies d’Achille, blessures de la voûte plantaire) semblent exploser auprès du public des nouveaux adeptes du minimalisme. Certains professionnels de santé tirent alors la sonnette d’alarme. Les premières études ne viennent pas non plus confirmer que courir pieds nus ou avec des chaussures minimalistes préserve des blessures, au contraire.
Pire, en 2014, la marque Vibram Five Fingers est condamnée aux Etats-Unis pour publicité mensongère sur l’aspect santé de son produit. L’amende est conséquente.
http://www.lesoir.be/542338/article/styles/bien-et...
Cette condamnation et ces études viennent porter un coup certain au phénomène. On s’est sans doute enflammé. Néanmoins, le minimalisme et les grandes théories sur l’importance de la pose du pied continuent.
Un intérêt à nuancer
Si ce “retour de bâton” a pu discréditer le discours tenus par les plus fervents adeptes du minimalisme, il n’est sans doute pas bon de le discréditer complètement. Simplement, son intérêt est sans doute à nuancer : courir avec des chaussures fines de ce type permet sans doute d’améliorer sa proprioception et de renforcer les muscles des pieds ainsi que la force des mollets, très sollicités. C’était d’ailleurs le postulat de départ et le principe des footings pieds nus accomplis par de nombreux athlètes depuis des décennies. Egalement, on peut apprécier les sensations procurées par ce type de chaussures, au plus près du sol. C’est un aspect intéressant.
Néanmoins, le facteur protecteur contre les blessures, qui seraient dues à une mauvaise technique de course induite par les chaussures à talon “surélevé” et amortissantes, doit être retoqué : les études le montre. Il est d’ailleurs pertinent d’observer que les chaussures minimalistes exigent une adaptation technique pour la plupart d’entre nous : c’est justement ce qui à la base était reproché aux traditionnels running!
En outre, de grosses différences physiologiques existent entre les individus et doivent être prises en considération dans le choix de l’équipement : pour certains coureurs (légers, bien alignés sur le plan articulaire et musculaire), les chaussures minimalistes pourront bien convenir, pour d’autres (lourds, avec des problèmes articulaires…), ce ne sera pas le cas.
Je vous invite à lire cet article documenté et bien nuancé écrit par un professionnel de santé confronté aux problèmes des blessures aux pieds :
http://www.podologue-paris.com/?p=719
Technique de course : la pose du pied n’est pas tout !
L’intérêt de la chaussure minimaliste doit donc certainement être nuancé et elle doit être prise pour ce qu’elle apporte : des sensations agréables et un renforcement musculaire qui est à mener avec prudence.
Si la vague minimaliste s’est amenuisée, il est donc bon que certains produits de ce type continue d’exister. Mais la tendance minimaliste aura en tous cas marqué les esprits et continue d’influencer le marché, d’une manière moins directe. Ainsi le drop, donnée quasiment inconnue il y a quelques années, est presque toujours indiqué sur les fiches techniques des modèles. On note d’ailleurs une nette tendance à produire davantage de chaussures à semelles presque plates.
L’empreinte du minimalisme
L’autre empreinte laissée par le minimalisme est sans doute la prévalence du débat sur la pose de pied correcte en course à pied. C’est devenu, pour certains coachs ou physiologistes plus ou moins sérieux, une bataille ou un fond de commerce. En grossissant le trait, l’attaque talon” est dénoncée comme une infamie, cause de tous les maux, et l’attaque par l’avant ou le médio-pied comme le bon geste, celui que mère nature nous a transmis mais que nous avons souvent oublié.
Ces thèses, et leur côté extrémistes, trouvent un large écho. Il n’y qu’à voir les catalogues de nombreuses marques, où les mannequins courent maintenant sur la pointe des pieds, alors qu’auparavant ils attaquaient le sol en exagérant franchement l’attaque par le talon. C’est tout aussi peu naturel, car dans les deux cas forcé, mais ce changement est symptomatique.
Là encore, il convient sans doute de pondérer l’importance de la zone d’attaque. La course à pied n’est pas un sport technique et chacun possède sa propre foulée, son propre geste. Il est issu d’équilibres musculaires, tendineux, articulaires complexes. De votre propre architecture.
Bien sûr, on peut l’améliorer. De nombreux exercices techniques (plots, multibonds, éducatifs…) existent et sont traditionnellement mis à l’oeuvre par depuis des générations d’entraîneurs d’athlétisme.
L’importance de la vitesse et du niveau
Penser que se forcer à poser le pied d’une certaine façon vous permettra de mieux courir et de ne plus vous blesser est illusoire. On peut améliorer son geste, le rendre plus efficace, plus dynamique et moins traumatisant, mais il procède avant tout de votre force musculaire, de votre souplesse, de votre équilibre corporel propre. De nombreux coureurs voient leurs foulées évoluée au cours de leur pratique, mais c’est surtout le signe d’une progression musculaire. Plus vous courez vite, plus votre foulée se porte naturellement vers une attaque médio-pied ou sur l’avant. Même si là encore, on observera de grandes variations entre les individus.
Plusieurs aspects autres que la simple prise d’appui influent sur la technique de course : le placement du buste, le bassin, les bras, la tête...Et il est donc illusoire de tout placer ici.
Il faudra aussi tenir compte de votre allure, de votre vitesse : vous ne courrez pas sur les mêmes appuis à 10 km/h ou à 15 km/h. L’appui sur le talon est généralement plus important à mesure que la vitesse se réduit et que le temps de course s’allonge. Rien ne sert absolument de lutter contre, l’économie de votre course vous le dictera.
De même, dans le choix de vos chaussures, le terrain sur lequel vous allez évoluer sera important : on peut tout à fait envisager de courir avec des chaussures minimalistes sur une pelouse souple et régulière. Il en va différemment sur un sol rocheux et de fortes descentes.
Tout est question d’adaptation individuelle et d’expérience : à vous de tester sans préjugés ni espoirs infondés!